Reforme du droit des contrats : quand le contrat s'equilibre et devient tripartite !

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Publié le 01/10/2016

L’Ordonnance 2016-131 du 10 février 2013 entre en vigueur le 1er octobre. Depuis 212 ans, aucune réforme d’une telle ampleur n’avait été apportée à notre Code civil datant de 1804. Sa finalité est double : (i) rendre le droit civil français plus attractif avec un rayonnement international et une convergence avec les principes du droit européen et (ii) apporter à notre droit une plus grande sécurité juridique. Cette réforme codifie principalement les grands principes de notre jurisprudence.

A titre liminaire, on retiendra que quasiment toutes les nouvelles dispositions du Code civil venant modifier le droit des contrats revêtent un caractère supplétif et peuvent donc être écartées par les parties. Le principe de liberté contractuelle demeure donc. Parmi les dispositions qui sont ou restent d’ordre public on relèvera les plus essentielles : le devoir général d’information précontractuelle (art 1112), la prohibition des clauses des contrats d’adhésion créant un déséquilibre significatif entre les parties (art 1171),  l’autorisation faite au juge de modérer une clause pénale (art 1231-5) et l’interdiction des clauses qui visent à limiter ou écarter la responsabilité du fait des produits défectueux (art 1245-14).

1/ La formation du contrat

La réforme entérine pour la première fois la période précontractuelle et le déroulement des négociations. Elle consacre ainsi la notion de bonne foi permettant de faire sanctionner par le juge une conduite ou rupture fautive des négociations. L’indemnisation restera cependant limitée aux dépenses et frais engendrés dans le cadre de la négociation (et en aucun cas la perte des avantages attendus du contrat non conclu).

Le devoir d’information précontractuelle est généralisé, mais ne porte que sur la partie qui détient une information dont l’importance est « déterminante » pour le consentement de l’autre partie (qui l’ignore ou fait confiance à l’autre partie). Pour être déterminante, l’information doit avoir un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. En revanche, cela ne couvre pas l’estimation de la valeur de la prestation. Le défaut d’information sera sanctionné par une action en responsabilité. A noter également que les négociateurs sont tenus à une obligation de confidentialité et ce, même en l’absence de clause spécifique dans le contrat. La réforme consacre également l’irrévocabilité de l’offre jusqu’à l’expiration du délai donné par son auteur ou, à défaut, jusqu’à l’issue d’un délai raisonnable (art 1116).

Elle introduit également dans le droit commun (art 1122) le principe d’un délai de réflexion et rétractation, au même titre que ce qui existe en droit de la consommation et dans les relations entre professionnels et non-professionnels.

Enfin, l’article 1143 introduit une nouvelle notion : l’abus de dépendance qui devient un cas de violence permettant d’annuler le contrat pour vice du consentement. Cette notion se définit comme l’obtention par une partie d’un engagement de l’autre, conférant un avantage manifestement excessif à celle qui le demande et que l’autre partie n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte.

2/ Le contenu du contrat

Les nouvelles dispositions viennent renforcer l’équilibre du contrat. La principale innovation (art 1171) réside dans l’introduction du « déséquilibre significatif » qui n’existait principalement jusqu’alors, que dans le Code de la consommation. Cette innovation ne vise cependant que les contrats « d’adhésion ». Le déséquilibre significatif s’apprécie au regard de l’économie générale du contrat et non clause par clause. Il ne peut porter sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation, de sorte qu’il devrait probablement se limiter aux autres obligations à la charge des parties (limitation de responsabilité, durée, etc.). Toute clause créant un tel déséquilibre est réputée non écrite.

La notion de « caducité » est également introduite dans le Code. Elle vient sanctionner la disparition d’un des éléments essentiels du contrat postérieurement à sa formation et s’étend également aux contrats « interdépendants » (dont l’exécution conjointe est nécessaire à la réalisation d’une même opération), l’annulation d’un des contrats entrainant dès lors la caducité de l’ensemble contractuel.

3/ Les effets du contrat

Alors que l’imprévision avait toujours été écartée du droit commun, la réforme (art 1195) permet d’adapter le contrat en cas de changement imprévisible de circonstances, alors même que le contrat ne comporte pas une clause dite « hardship ».  Le régime est toutefois encadré. Ce texte, qui n’a qu’un caractère supplétif, précise que l’imprévision doit rendre l’exécution du contrat « excessivement onéreuse » pour l’une des parties et que cette dernière ne doit pas avoir accepté de prendre en charge ce risque. Cette partie peut demander à l’autre une renégociation du contrat. Faute de l’accepter ou en cas d’échec de la négociation, les parties peuvent alors, d’un commun accord, résoudre le contrat ou saisir le juge pour qu’il procède à son adaptation, voire qu’il y mette fin, d’où cette notion de contrat dit « tripartite ».

Il est également mis fin à la nullité des conventions « perpétuelles » qui sont désormais traitées comme un contrat à durée indéterminée, avec faculté d’y mettre fin moyennant un préavis « suffisant », faute de disposition spécifique dans le contrat.

Autre nouveauté, l’exception d’inexécution qui restait inconnue de notre droit positif, tout en étant reconnu par la jurisprudence. Le nouvel article 1217 vient consacrer ce principe et liste les différentes sanctions d’une telle inexécution : refus d’exécuter à son tour ou suspension de l’exécution, poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation, solliciter une réduction de prix, provoquer la résolution du contrat ou demander réparation des conséquences de l’inexécution (dommages et intérêts). Chacune de ces sanctions, qui peuvent être cumulées dans certains cas, fait l’objet de dispositions particulières (art 1218 à 1226). Les nouveautés principales résident (i) dans la possibilité pour le créancier de faire exécuter lui-même l’obligation, dans un délai et à un coût raisonnable, aux frais du débiteur défaillant, alors qu’une telle option nécessitait auparavant une autorisation du juge, et (ii) dans la faculté également offerte au créancier de résoudre le contrat, de manière unilatérale, mais à ses risques et périls, par simple notification adressée à la partie défaillante, par suite d’une inexécution grave et après en demeure de remédier à ce manquement dans un délai raisonnable et restée sans effet. On retiendra cependant que pour éviter tout abus de la part du créancier de l’obligation, la mise en œuvre de l’exception ne peut être faite que si l’inexécution revêt un caractère suffisamment grave (art 1219).

La notion de force majeure, qui n’avait jamais été définie par la loi, est désormais encadrée (art 1218) tant dans sa définition (événement échappant au contrôle du débiteur qui ne pouvait raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées), que de ses effets (suspension si temporaire, résolution du contrat si définitif).

 

Par Me. Antoine AUBERT

Avocat au Barreau de Paris